Burundi – « Les femmes rurales sont capables de s’autonomiser »

Introduction

La situation économique et politique du Burundi

Pays enclavé d’Afrique de l’Est, le Burundi est une économie à faible revenu dont 80 % de la population travaille dans le secteur agricole. Entouré par le Rwanda au nord, la Tanzanie à l’est, la République démocratique du Congo à l’ouest, il est bordé au sud-ouest par le Lac Tanganyika. Avec 11,6 millions d’habitants, dont une proportion de femmes de 50,38 % (2020), il est l’un des pays les plus densément peuplés de la région des Grands Lacs. 

Le Burundi a traversé une situation économique délicate au cours des cinq dernières années, avec notamment une suspension d’une partie de l’aide extérieure depuis 2015. La pauvreté touche principalement les petits agriculteurs en milieu rural. L’économie burundaise est largement tributaire de l’agriculture qui occupe la première place, car ce secteur représente plus de 50% du PIB et plus de 90% de la population active, même si les terres arables sont extrêmement rares

Les types de culture, d’élevage et la place de l'agriculture

Concernant l’agriculture, les Burundais cultivent différentes cultures dans différentes régions, telles que le café, le thé, le coton, le palmier à huile, la canne à sucre, l’horticulture, la culture du tournesol, le riz, le maïs, le haricot, le manioc, la banane, l’igname, le sorgho, l’éleusine, la tomate, le concombre, le poireau, l’aubergine, le poivron, la pastèque, etc.

Au Burundi l’élevage est essentiellement de type traditionnel. Sont principalement élevés au Burundi des bovins, des caprins, des ovins et des volailles. Les lignes de production animale locales sont notamment axées sur la transformation des produits laitiers, la vente de viande ou encore la production de fumure organique. La production nationale de viande, lait et œufs est cependant très insuffisante au regard de la demande nationale, d’autant que les besoins croissent rapidement avec la population. Ce secteur présente des opportunités d'investissement, non seulement dans l'industrie de transformation de la viande et produits laitiers, mais aussi dans le développement des infrastructures nécessaires à la distribution locale et internationale.

Portrait de Odette, agricultrice burundaise

Odette Ntirampeba est une femme de 47 ans, mariée et mère de trois enfants. Elle est agricultrice et les revenus de ses activités lui permettent notamment d’avoir le minerval pour ses enfants et de se procurer de l’argent pour l’achat d’habits et de nourriture.

Quelle place a l’agriculture dans votre vie ?

Mon métier a une place centrale pour l’ensemble de mon foyer. Il me permet d’améliorer nos conditions de vie. En  2002, nous habitions dans une maison couverte de paille. En 2005, j’ai commencé à cultiver des légumes, de la patate douce, du haricot et du maïs. Après la vente de ma récolte, j’ai loué un champ de 30 mètres sur 50 mètres pour 30.000  FBu, dans le but d’y cultiver du riz. J’ai pu en récolter suffisamment pour acheter des tôles et couvrir la maison familiale, qui laissait auparavant pénétrer la pluie. Aujourd’hui, grâce à mon travail, j’ai réussi à construire une belle maison qui a une valeur de nonante millions de francs burundais.

Quelles sont vos activités agricoles ?

Je cultive du riz et des légumes de toutes sortes dans les marais. En plus de mes activités agricoles, du commerce de la boutique et du riz dans les machines décortiqueuses, je m’occupe aussi de l’élevage d’un petit bétail. J’ai deux vaches, cinq chèvres et deux poules.

Avez-vous d’autres activités ?

Mes activités agricoles occupent une grande partie de mes journées. Mais j’assure aussi des fonctions très importantes au sein de mon ménage. Je m’occupe de l’éducation des enfants, de la prise en charge des malades et d’assurer denrées alimentaires du ménage. Et ce n’est pas tout, je gère également d'autres tâches ardues et longues, comme le nettoyage, la cuisine, la collecte d'eau et de bois de chauffage, le désherbage, etc. Enfin, j’ai également un rôle national, puisque je participe à la sécurité alimentaire de ma communauté, en plus de celle de mon foyer, en produisant, transformant et préparant les aliments que je cultive.

Vous investissez-vous dans les structures agricoles de votre région ?

Depuis 2005, je suis cheftaine de la colline Kinyinya III, zone de Rukaramu, commune Mutimbuzi, province de Bujumbura rurale. Je suis également l’une des leaders de la Confédération des associations des producteurs agricoles pour le développement (CAPAD). Enfin, je suis aussi présidente du forum des femmes dans la zone Rukaramu composé de cinq collines (Kanyinya I, II, III et Kigwati I et II).

Quelle place occupent les agricultrices dans le secteur agricole burundais ?

Les groupes communautaires locaux de femmes doivent avoir davantage de voix dans les processus décisionnels qui les concernent. Malheureusement, les normes culturelles peuvent restreindre la participation des femmes, ce qui signifie que les besoins spécifiques des femmes rurales sont rarement entendus ou pris en compte. Par conséquent, les défis auxquels les femmes rurales sont confrontées restent souvent sans réponse. Renforcer les organisations de femmes rurales et établir un niveau minimum de représentation aux débats politiques permettraient de leur donner plus de pouvoir. Il est en effet important de permettre aux femmes rurales de se faire entendre et de s’assurer que la transformation rurale soit véritablement inclusive. Cela passerait notamment par un accès à des formations à la prise de parole en public et au leadership.

Quelles sont les joies et difficultés que vous rencontrez dans le cadre de vos activités ?

Nous, femmes rurales, sommes confrontées au manque de semences, aux produits phytosanitaires et aux maladies des plantes qui ravagent parfois nos champs. Nous sommes aussi vulnérables aux effets du changement climatique – sécheresse, inondations et déboisement. Avec le changement climatique, les sources alimentaires traditionnelles se raréfient et deviennent moins prévisibles. Par conséquent, nous sommes confrontées aux pertes de revenus et de récoltes, qui sont par ailleurs souvent notre seule source de revenus et d’alimentation. Nous sommes aussi confrontées à l’ignorance, aux coutumes et à l’analphabétisme qui réduisent nos chances d’accéder à un travail rémunéré. 

En 2004, vous avez créé une association appelée Ntimwihebure Ejo Ni Heza composée de 16 membres, dont 14 femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’y étais secrétaire. En 2006, j’ai fait enregistrer cette association dans la commune. L’objet de cette association était de mettre en commun nos forces pour intensifier nos activités agricoles. Car nous n’avions que peu de revenus avec nos cultures de légumes. Mais l’union fait la force. Lorsque les femmes se regroupent dans une association, elles brisent le silence et commencent à s’ouvrir au monde extérieur. Et ce, grâce aux différentes rencontres organisées dans cette association aux échanges d’expérience des unes et des autres. J’ai voulu impliquer les femmes dans des activités génératrices des revenus. Je souhaitais les motiver et leur faire comprendre qu’elles sont capables de produire et qu’elles ne sont pas obligées de dépendre de leurs maris pour satisfaire aux besoins familiaux.

Aujourd’hui, êtes-vous impliquée dans une OP ? Quels bénéfices retirez-vous de cette OP ?

Je suis présidente de la coopérative Girumwete Dukore composée de 678 membres, dont 400 femmes. Le comité exécutif est composé de neuf membres, dont quatre femmes, et le comité de surveillance est composé d’une femme et deux hommes.

Je remercie d’ailleurs la CAPAD pour leur soutien à ma coopérative. En 2006, la CAPAD est venue à notre rencontre et s’est penchée sur nos besoins. Elle nous a donné des semences, des outils pour puiser de l’eau et 48 chèvres (chaque membre de l’association a reçu trois chèvres) afin d’utiliser de la fumure animale pour fertiliser nos champs. La CAPAD a aussi mis à notre disposition un agronome pour nous former en agriculture moderne et nous a permis d’assister à des formations de renforcement des capacités, de compétences techniques, de gestion commerciale et financière ou encore de leadership. À un autre niveau, leur réseau nous a permis d’échanger avec d’autres coopératives et de partager des idées et expériences. Ces échanges nous ont permis de développer des activités génératrices de revenus et d’user des pratiques agricoles durables restaurant et améliorant la fertilité des sols. Tout cela a contribué à notre autonomisation et notre développement.

 Personnellement, j’ai pu me rendre dans différentes régions avec la CAPAD pour m’inspirer des pratiques d’ici et d’ailleurs. J’ai pu me rendre en province Kirundo pour participer à un atelier de formation sur la culture moderne du riz. J’ai également été au Burkina Faso pour voir comment la transformation du riz se fait. J’en ai profité pour visiter le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, les dépôts du riz du PAM (Programme Alimentaire Mondial) et j’ai échangé avec les paysans pilotes multiplicateurs des semences sélectionnées. J’ai aussi visité le Bénin pour voir comment ils emballent le riz de deux ou cinq kg. Au Kenya, j’ai participé à une réunion qui rassemblait d’autres producteurs, pour échanger sur les bonnes pratiques pour aboutir, en tant que producteur, au développement durable. Enfin, je me suis rendue au Rwanda, où j’ai participé à une formation de renforcement des capacités avec d’autres paysans pilotes originaires du Burundi, Kenya, RDC et Rwanda.

Aujourd’hui, j’ai renforcé mes capacités et je cultive un champ modèle. Auparavant, je semais 30 kg de riz et j’en récoltais 300 kg. Mais après le renforcement de capacités dans ce même champ, je sème 10 kg de riz et j’en récolte 1 T. Mon champ sert de modèle aux autres membres de la coopérative. J’accueille également des paysans des différentes régions du Burundi pour leur apprendre comment la culture moderne du riz se fait. Aujourd’hui, mon travail est reconnu et je suis invitée à intervenir dans des réunions en lien avec le développement pour partager mon expérience et mes idées.

Pourquoi est-ce important pour vous de vous réunir entre femmes ?

C’est un avantage pour moi, car il y a beaucoup à y gagner. En nous réunissant entre femmes, nous renforçons notre autonomie économique. Ce qui nous permet de subvenir aux besoins familiaux et de satisfaire certains désirs personnels. Créer des organisations de femmes renforce notre mobilité et nous permet de nous intégrer davantage au monde rural, à un environnement économique et socioculturel plus large et plus diversifié. Cela nous donne la possibilité d'exprimer notre individualité à l'intérieur d'espaces socialement reconnus. Les coopératives entre femmes sont finalement pour nous un espace où nous pouvons en tant que femmes être nous-mêmes, nous épanouir, oser prendre des décisions et nous encourager à nous lancer dans des activités rémunératrices, comme l'agriculture, le maraîchage, le petit élevage, l’ouverture d'une boutique villageoise, la transformation agro‑alimentaire, etc.

De plus, ces organisations nous permettent de développer un réseau de solidarité en dehors des liens de parenté. Nous sommes également amenées à rencontrer des organisations de développement susceptibles de nous apporter reconnaissance sociale et soutien économique.

Et personnellement, qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Avant d’intégrer la coopérative, j’étais timide et je me sentais incapable de parler en public. Mais maintenant, j’arrive à m’exprimer devant une audience, même si le président de la République en fait partie. Je suis suffisamment confiante pour amener mes idées lors d’échanges avec des associations, des coopératives ou des structures de développement dans le secteur de l’agriculture et l’élevage. En 2020, J’ai d’ailleurs été sollicitée pour représenter les femmes de la province Bujumbura rural au niveau national.

Quels conseils donnerez-vous à une femme qui souhaite se lancer dans le secteur de l’agriculture ?

Même si les femmes rurales enregistrent aujourd’hui une avancée remarquable en matière d’autonomisation, des barrières existent encore. Pour affronter alors ce secteur agricole majoritairement masculin afin de s’autonomiser, il est nécessaire que les femmes rurales se regroupent en associations ou coopératives. Il faut éviter de se lancer dans l’agriculture en étant livrée à soi-même. Faire partie d’une coopérative permet aux femmes rurales de mieux faire face aux obstacles, d’échanger des idées et des connaissances en gestion, pratiques agricoles ou encore en finances. Et enfin, j’encourage vivement les femmes à s’atteler à des activités rémunératrices pour être indépendant financièrement.

 

 

 

 

 

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