C’est donc à Jalhay, juste à côté du Barrage de la Gileppe, que les agricultrices de la province de Liège se sont retrouvées pour leur Journée d’étude. Accueilli par la section de Verviers-Dison-Limbourg et plus particulièrement par leur Présidente, Michelle Gavray, le public a eu le plaisir d’écouter, après l’introduction de Paulette Piron (Présidente provinciale), Aline Lecollier (conseillère Sanitaire – Antibio Résistance FWA) ainsi que Fabiana Dal Pozzo (Coordinatrice AMCRA asbl). L’objectif général de cette journée était donc de mieux comprendre le phénomène d’antibiorésistance.

  1. Mise en contexte

L’antibiorésistance, c’est le fait de bactéries qui deviennent résistantes aux antibiotiques. Cette résistance peut provoquer des infections difficiles voire impossibles à traiter tant chez les hommes que chez les animaux.

Les hommes et les animaux partagent le même écosystème : les bactéries peuvent donc passer de l’un à l’autre. Une bactérie résistante peut donc nous être transmise par notre animal de compagnie ou même la faune sauvage. Cette chaine d’interconnexion entre tous (santé humaine, santé animale et environnement) rend possible le développement, suite à l’utilisation massive d’antibiotiques, des résistances et leur passage de l’homme à l’animal et inversement. Cette chaine d’interdépendance entre l’homme, l’animal et l’environnement a fait émerger le plan mondial « One Health » (« Un monde, une santé ») pour lutter contre l’antibiorésistance.

Il est par ailleurs important de ne pas confondre et de faire l’amalgame entre antibiorésistance et résidus d’antibiotiques : « Pour éviter d’avoir des résidus d’antibiotiques dans la viande, les abats, le lait ou les œufs, on attribue un temps d’attente aux médicaments administrés aux animaux de rente. Le temps d’attente est le temps à respecter entre la dernière administration de médicaments et la collecte du lait et des œufs ou l’abattage. A l’issue de ce temps d’attente, la teneur en substances actives provenant du médicament est suffisamment basse pour être considérée comme inoffensive. » (Celagri)

L’antibiorésistance, c’est aussi une question de responsabilité : de la part des professionnels de santé tant humaine qu’animale, du secteur des soins de santé, du secteur agricole, mais aussi individuelle ; tout le monde doit en prendre conscience et prendre ses responsabilités par rapport à l’utilisation non ciblée d’antibiotiques.

  1. Historique de l’évolution de l’utilisation et de la résistance des antibiotiques dans l’élevage en Wallonie

Depuis 2016, les autorités ont mis en place un système de collecte de données sur l’utilisation des antibiotiques en élevage au niveau national, avec l’enregistrement obligatoire dans SANITEL-MED.

  • Selon la loi du 27/02/2017, c’est obligatoire pour les espèces majeures, dites « industrialisées » : porcs, poulets de chair, poules pondeuses, veaux de boucherie. Le rôle du vétérinaire est donc d’enregistrer ce qu’il administre et ce qu’il fournit dans l’exploitation ; le rôle de l’éleveur est de veiller à l’exactitude des données enregistrées mais le vétérinaire garde l’entière responsabilité des enregistrements ;
  • Chez les bovins : on dispose des données nationales d’utilisation via les cahiers des charges QFL pour le secteur laitier ; obligation des enregistrements dans Bigame (ou AB Register en Flandre) et l’AMCRA reçoit les données et les analyse. Ces données sont analysées depuis 2019, mais malgré 4 ans de collecte/traitement de données, il est à regretter un problème de représentativité (certains éleveurs ne les encodent pas, il y a donc un manque d’enregistrements pour tirer des conclusions), des données incomplètes, avec une difficulté d’interprétation des résultats. Mais à partir de janvier 2023, l’enregistrement des données d’utilisation d’antibiotiques sera une obligation légale pour tous les bovins !

En ce qui concerne la collecte des données, quelques précisions :

  • Fonctionnement et responsabilité partagée : le vétérinaire enregistre (directement dans l’application en ligne) et l’éleveur doit vérifier (quantité, catégories animales, produit, date) ; le vétérinaire et l’éleveur sont donc responsables du caractère complet, de l’exactitude et de la transmission des données en temps voulu à SANITEL-MED.
  • Benchmarking : afin que les exploitations puissent situer leur utilisation d’antibiotiques, un indice annuel, BD100, est calculé pour chaque catégorie animale (classes d’âges) dans le troupeau bovin présente dans l’élevage sur base des données reçues par l’AMCRA. Pour pouvoir évaluer le taux d’utilisation d’antibiotiques dans chaque catégorie animale de troupeau bovin laitier, le BD100 moyen de chaque catégorie est comparé à deux valeurs limites : une valeur d’action (au-dessus de laquelle le troupeau se situe en zone rouge, forte utilisation d’antibiotiques, 10% des troupeaux) et une valeur d’attention (en-dessous de laquelle le troupeau se situe en zone verte, faible utilisation d’antibiotiques, 50% des troupeaux) ; les troupeaux dont l’usage d’antibiotiques est compris entre ces deux valeurs se situent en zone jaune. Un point sur cette représentation graphique indique à l’exploitation sa situation.
  • Contenu du rapport de benchmarking : les exploitations reçoivent un rapport d’analyse avec un aperçu des résultats détaillant, par catégorie d’âge, le nombre d’animaux avec le score couleur résultant de ce benchmarking (vert, jaune, rouge), par rapport à l’utilisation d’antibiotiques le BD100 mensuel et annuel ainsi que l’évolution entre rapports successifs, etc. Il est important de discuter du contenu du rapport avec son vétérinaire et de comprendre les raisons d’une situation d’utilisation d’antibiotiques.

Les résultats 2021 QFL montrent qu’en jours de traitement, les veaux comptent pour 85% du total. Cette tendance s’observe d’année en année. Au niveau de la typologie des antibiotiques utilisés en fonction du diagnostic et de l’agent pathogène, il est important d’utiliser un antibiotique au spectre le plus étroit possible. Or les polymyxines et (fluoro)quinolones, qui sont les antibiotiques à très larges spectres de la médecine vétérinaires sont encore trop utilisés… 

Au niveau des analyses antibiogrammes de l’ARSIA, qui sont des examens de laboratoire permettant d'évaluer la sensibilité d'une bactérie pathogène aux antibiotiques (consistant donc en un outil d’aide à la décision thérapeutique via les prélèvements vétérinaires) : les espèces bovines représentent 91% des analyses bactériologiques.

  1. Bonnes pratiques et pistes pour supprimer les antibiotiques en ferme

Un point crucial dans la lutte contre l’antibiorésistance est la biosécurité d’une exploitation. Une gestion de l’exploitation axée sur la biosécurité est plus difficile à mettre en place en élevage bovin en comparaison avec les élevages porcins et avicoles. Néanmoins des bonnes pratiques simples peuvent déjà éviter des problèmes. On parle de biosécurité des personnes (mains, vêtements et chaussures propres pour chaque visiteur = 3 indispensables) et du bâtiment (contrôle des entrées dans les bâtiments d’élevage, séparation des zones « propres » et « sales » dans les étables (les loges à veaux ont besoin d’une hygiène renforcée de même que la loge de césarienne, à séparer de la loge des bêtes malades…), zone de quarantaine, contrôle de la vermine et autres animaux sauvages, idéalement éviter la « divagation » des animaux domestiques dans les lieux d’élevage, matériel vétérinaire à usage unique. On peut aussi adopter la « marche en avant » lors des soins des animaux (commencer par les veaux et terminer par les malades)

Lorsque la biosécurité est vérifiée, il est possible d’aller plus loin en modifiant certaines pratiques d’élevage. L’éleveur peut notamment travailler sur le tarissement sélectif, le traitement de groupe chez les bovins (veaux), le non usage des antibiotiques pour les césariennes, le traitement de groupe chez les volailles ou encore chez les porcs (des guides sont disponibles sur le site de l’AMCRA).

  • Tarissement sélectif : utiliser des tubes mammites n’est pas nécessaire ; pour une réduction quantitative des antibiotiques, l’AMCRA recommande d’améliorer la santé globale du troupeau et la prévention des troubles de la santé mammaire en se basant sur un plan sanitaire de troupeau mis en place par le vétérinaire d’exploitation (biosécurité, hygiène du pis, hébergement, densité de population…), avec un suivi individuel de l’état d’infection de la mamelle afin de trouver le pathogène responsable des mammites et prévenir les risques d’infection pour la lactation suivante ;
  • Traitement de groupe chez les bovins (veaux d’engraissement) : depuis janvier 2022, il est interdit de traiter tous les animaux dès leur arrivée (prophylactique), un traitement de groupe ne peut JAMAIS être considéré comme un traitement standard dans une exploitation, un diagnostic précoce est indispensable pour éviter le traitement de groupe, lors d’infection bactérienne très contagieuse, un traitement de groupe en urgence est requis ;
  • Césarienne raisonnée : il s’agit d’utiliser les antibiotiques selon les bonnes méthodes et pas parce qu’on on a toujours fait comme ça ; en cas de complications, le vétérinaire choisit l’antibiotique sur la base d’une analyse individuelle tenant compte des risques spécifiques rencontrés ;
  • Traitement de groupe chez les volailles et les porcs : depuis janvier 2022, il est interdit de traiter tous les animaux dès leur arrivée (prophylactique) ; mêmes recommandations que pour les veaux d’engraissement.

 

  1. Avenir et prévision

Deux plans de réduction à long terme pour le secteur animal, développés par l’AMCRA, ont déjà vu le jour : « Vision 2020 » et « Vision 2024 ».

Le plan « AMCRA Vision 2020 » a déjà permis de réduire de 40% l’usage d’antibiotiques et de réduire de 75% l’usage d’antibiotiques critiques.

Le plan « AMCRA Vision 2024 » décrit quatre objectifs stratégiques relatifs à la politique d’utilisation des antibiotiques et de lutte contre l’antibiorésistance chez les animaux en Belgique pour les années 2021 à 2024 :

  • Objectifs de réduction spécifiques à chaque espèce animale au niveau des exploitations et 1 % maximum d'utilisateurs en zone alarme d’ici 2024 ;
  • L'utilisation totale d’antibiotiques rejoindra l’utilisation médiane européenne d’ici 2024 ;
  • Utilisation maximale d’1 mg de colistine/kg de biomasse d’ici 2024 ;
  • Réduction de l'utilisation d'aliments médicamenteux contenant des antibiotiques.

En guise de conclusion,

« Il est primordial de veiller à l’usage raisonné des antibiotiques et d’encourager la prévention, les bonnes pratiques et, éventuellement, l’utilisation d’alternatives ; que ce soit dans le secteur de la médecine humaine et vétérinaire.

Soyons fiers de notre agriculture familiale et raisonnée ! Le secteur a fait de nombreux progrès, continuons de croire à nos élevages, à notre alimentation ! » (Paulette Piron, Présidente provinciale)

Devenir membre UAW

Promotion et défense des intérêts des agricultrices et des femmes vivant en milieu rural
Animation et formation continue
S’informer, se rencontrer et échanger
Accès aux services juridique et technique FWA