Le 9 novembre dernier avait lieu la Journée d’étude provinciale des agricultrices de la province de Liège, celles-ci avaient décidé de développer le sujet des perturbateurs endocriniens et notamment mieux comprendre leur influence sur la santé.

Après l’introduction d’Anne-Marie Dumont, Présidente Provinciale UAW Liège et le mot d’accueil présentant la région qui nous accueillais à savoir le Pays de Herve et plus précisément le village de Charneux par Paulette Piron, Présidente de la section locale de Herve-Aubel ; nous avons passé la parole à Madame Anne-Simone Parent, Pédiatre endocrinologue à l’Université de Liège pour nous parler des perturbateurs endocriniens.

Quelques définitions

Selon la définition de l’OMS, un perturbateur endocrinien est « ... une substance exogène ou un mélange qui altère une ou des fonctions du système endocrinien et, par conséquent cause des effets négatifs dans un organisme intact, ou sa descendance, ou des (sous)-populations ».

Le système endocrinien implique des glandes produisant des hormones qui vont agir à distance et en cascade. Il fonctionne comme un système de clés (hormones) ouvrant des serrures (récepteurs), activant ou non le récepteur. L’hypothalamus et l’hypophyse, dans le cerveau, contrôlent ces glandes et la sécrétion des hormones.

La perturbation endocrinienne, qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’un mécanisme par lequel une substance active ou bloque un récepteur au mauvais moment ou affecte le transport ou l’élimination de ces hormones.

Une menace invisible

Les perturbateurs endocriniens sont inodores, incolores, insipides et notre exposition à ceux-ci peut se faire par inhalation, ingestion et résorption (peau).

Ils sont utilisés dans l’industrie pour l’incinération, l’isolation : les PCBs par exemple ; en agriculture dans certains pesticides, avec des substances comme le DDT, l’atrazine ; et pour notre usage domestique dans les plastiques (Bisphénol A), les cosmétiques (Parabènes) ou les contraceptifs (Œstrogènes synthétiques).

Les premières observations de dysfonctionnements ont été faites par des biologistes dans le règne animal, où des animaux exposés à des substances comme des PCBs par exemple mourraient, avaient des anomalies génitales ou étaient incapable de se reproduire…

Nous sommes exposés à un grand nombre de perturbateurs endocriniens tous les jours et ce dès la vie intra-utérine…

On en distingue de deux types : les non persistants, auxquels nous sommes exposés tous les jours et tout le temps et les persistants (comme certains pesticides, les PCBs) qui restent dans l’environnement et dans notre corps et qui par conséquent s’accumulent au fur et à mesure de la vie.

Depuis les années ’80, la production mondiale de produits chimiques ne cesse d’augmenter.

Les perturbateurs endocriniens sont des icebergs…

En effet, environ 30 substances sont identifiées comme perturbateurs endocriniens par l’institut de recherche des Communautés Européennes ; environ 1.000 substances sont des perturbateurs endocriniens sur base de publications scientifiques ; environ 10.000 substances sont considérées comme devant être testées par l’agence américaine de protection de l’environnement ; et pourtant plus de 100.000 substances sont enregistrées…

Fœtus/enfant, sujets à risque

Nous sommes chacun exposés à un grand nombre de perturbateurs endocriniens : un minimum de 27 substances peut être détecté et cela peut monter à une centaine un jour donné…

En moyenne, chaque bébé qui naît dans nos pays développés a déjà été exposé à plus de 100 perturbateurs endocriniens.

Le fœtus et l’enfant mettent en place les fonctions qui leur permettront de s’adapter à leur environnement pendant toute la vie et ils sont extrêmement sensibles aux hormones ainsi qu’aux perturbateurs endocriniens et ce même à des doses très très faibles…

Le fœtus/l’enfant sont des sujets plus à risques notamment parce qu’ils sont moins capables d’éliminer ces substances. Ce sont des organismes en développement et ils ont une plus grande sensibilité biologique et métabolique. Ils sont en contact avec des perturbateurs endocriniens car ces substances passent dans le placenta et le lait maternel. Ils portent également tout à la bouche, ce qui peut les mettre en contact avec des éléments contenant des perturbateurs endocriniens.

Un organisme en développement est très sensible aux apports positifs et négatifs de l’environnement, comme les perturbateurs endocriniens. On parle de l’origine développementale de la santé et des maladies : un organisme adulte exprime les conséquences de la qualité du milieu dans lequel il s’est développé – les événements qui se passent très tôt dans la vie vont définir notre santé plus tard.

Les perturbateurs endocriniens peuvent avoir plusieurs cibles à la fois et peuvent générer des effets proches ou à distance de l’exposition pendant toute la vie…

Effets sur la santé

On peut citer de nombreuses pathologies associées à l’exposition aux perturbateurs endocriniens :

effets sur la santé

Les effets sur la santé d’une substance sont souvent mesurés en fonction de la dose ingérée, en endocrinologie on peut dire que toute dose peut être un poison : les effets sur la santé d’une dose de perturbateurs endocriniens ingérée suivent des courbes « improbables » et il est donc très difficile de définir une dose minimale au-delà de laquelle on atteint un effet nuisible.

Prenons l’exemple du bisphénol A, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a défini une dose minimale dite sure et des études en laboratoires effectuées sur des rats ont démontré des effets indésirables à des doses bien plus faibles…

Calculer une dose “sûre” n’a donc pas de sens :

  • L’effet n’est pas toujours proportionnel à la dose ; il peut même devenir opposé ;
  • Au sein d’un même individu, l’effet peut varier  considérablement d’un organe à l’autre ;
  • Au sein d’un même organe, l’effet peut varier considérablement d’un paramètre à l’autre ;
  • Et le moment dans la vie, fait-il la différence ?

Cas d’études

Une exposition prénatale à certains polluants induit des troubles de la fonction cérébrale :

  • 9 années après avoir été exposé aux PCBs dans sa vie fœtale, cet enfant a perdu 10 points de QI (Stewart et al., Environmental Health Perspectives 2008,116:1416–22)
  • 3 semaines après avoir été exposé aux PCBs dans sa vie fœtale et néonatale, les neurones de cette souris sont incapables de se développer normalement (AS Parent et al, Eur J Neurosci 2017)  
  • Une exposition prénatale à certains polluants induit des troubles de la mémoire chez le rat (Roegge, 2000, Toxicological Sciences)
  • Une exposition prénatale à certains polluants induit des troubles de la fonction des nouveaux neurones dans l’hippocampe (A Pinson et al, Eur J Neurosci 2017)
  • Des fillettes danoises exposées à certains pesticides perturbateurs endocriniens in utero commencent leur puberté plus tôt (Wohlfart-Veje C et al, Int J androl 2012)

Les générations à venir sont concernées…

Certains perturbateurs endocriniens peuvent modifier l’organisation chimique du gène (épigénétique) et changer son expression. Un tel effet peut être transmissible aux générations suivantes.

Cela a permis de mettre en évidence deux modes de transmission des perturbateurs endocriniens : d’une part, les perturbateurs modifient l’organisation de l’hypothalamus qui contrôle la puberté et la reproduction et ceci est transmis aux générations suivantes. D’autre part, les mêmes substances perturbent le comportement maternel et ce comportement maternel est transmis de génération en génération.

Comme déjà évoqué, nous sommes exposés à un mélange complexe de perturbateurs endocriniens et déjà in utéro…

Des agents chimiques qui ne causent individuellement aucun effet à très faibles doses, peuvent entraîner un effet quand ils sont sous la forme de mélanges qui reflètent la réalité de notre exposition.

En résumé, ce qui fait le poison, c’est le moment, c’est le mélange, c’est la précarité.

C’est quoi la solution ?

Lors du débat, Madame Parent nous a donné quelques pistes de réflexion : le développement de la Chimie verte, l’intelligence artificielle, condamner le bisphénol A et informer la femme enceinte…

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