Le 16 novembre dernier avait lieu la Journée d’étude provinciale des agricultrices de la province du Brabant Wallon, celles-ci avaient décidé de développer le sujet du stockage et de la rémunération du carbone afin de mieux en comprendre les intérêts et les enjeux

Après l’introduction de Jacqueline Strade, Présidente Provinciale UAW Brabant wallon ; nous avons passé la parole à trois expertes du Carbone, en voici le résumé…

1) Le Carbone en agriculture par Justine Gilquin, conseillère à la FWA (justine.gilquin@fwa.be)

  • Pourquoi s’y intéresser ?

Le carbone est un sujet d’actualité, surtout cette année avec la COP26, les inondations, le récent rapport du GIEC, et il est utile de se tenir au courant. C’est également un sujet d’actualité au niveau agricole à travers le Pacte vert (Green deal) et la PAC.

répartition GES

L’agriculture n’est pas le secteur le plus émetteur en quantité de gaz à effet de serre (GES). Par contre, c’est un des émetteurs principaux de méthane et de protoxyde d’azote dont l’impact et la durée de vie diffèrent du carbone.

L’agriculture dépend aussi fortement du climat, comme on a pu le voir lors des inondations, des sécheresses, etc. Cela va impacter les rendements et la qualité des récoltes.

Mais l’agriculture est aussi une source de solution face à tous ces enjeux ! Les prairies permanentes constituent des puits de carbone. En Région wallonne, les surfaces en prairies restent relativement stables et représentent 42,1 % de la SAU. Les grandes cultures peuvent également être des sources de solutions via la couverture permanente du sol ou les haies et les bandes enherbées par exemple.

Il existe différents modèles économiques pour rémunérer la séquestration du carbone, un exemple est le « label bas carbone » de nos voisins français qui se base sur l’analyse du cycle de vie (voir présentation d’Astrid Loriers).

  • Alors « Carbon Farming » bonne ou mauvaise idée ?

La surcharge administrative, la gestion des données personnelles, la fiabilité des outils, les coûts sont autant de points d’attention à garder en tête. La promotion d’un modèle unique constitue également une menace, il ne faut pas opposer les modèles mais identifier et appliquer l’option la plus adaptée à chacun d’entre eux. Il existe en effet différentes manières d’améliorer son bilan : l’agriculture de précision (même si pas accessible pour tout le monde, afin de mieux gérer les intrants), la recherche mais également la production d’énergie à la ferme.

En conclusion, l’agriculture est à la fois dépendante des aléas climatiques et source de solutions pour limiter le changement climatique. Si le cadre légal le permet, il est donc possible de rémunérer les agriculteurs pour ces services. Enfin, pour que la transition fonctionne, il faut s’inscrire dans une démarche sociale et assurer une rentabilité pour le monde agricole. La difficulté est donc de trouver un équilibre entre les différents impératifs agronomiques, techniques et économiques.

2) L’outil DECiDE - Diagnostic Energie-Climat Des Exploitations agricoles en Wallonie par Astrid Loriers (a.loriers@cra.wallonie.be)

  • L’outil DECiDE c’est quoi ?

Un outil pour estimer les consommations énergétiques et les émissions de GES et de NH3 des exploitations, spécifiques aux fermes wallonnes. Il s’adresse aux agriculteurs et leurs conseillers et a pour objectif d’anticiper sur les attentes des consommateurs, les politiques, se situer par rapport à ses voisin(e)s et s’améliorer.

L’outil permet d’évaluer les systèmes agricoles dans leur globalité en se basant sur l’Analyse de Cycle de Vie (ACV). Il s’agit d’estimer l’impact d’un produit du « berceau au tombeau ». Pour cela, on regarde tous les flux de matière et d’énergies qui entrent (ressources) et sortent (produits, émissions) du système étudié et on évalue leurs impacts. On s’arrête ici aux « portes de la ferme ».

Schéma du cycle de vie des productions agricoles
Schéma du cycle de vie des productions agricoles

L’outil DECiDE permet de quantifier et comparer les consommations énergétiques et les émissions de GES et de NH3 par rapport à un groupe de même type d’exploitations. On peut alors déterminer l’impact de pratiques et des modes de production, ce qui peut servir de base pour les conseils.

Pour cela, les chercheurs travaillent avec des données et références régionales adaptées. De plus, les méthodes de calcul sont basées sur les méthodes actuelles reconnues internationalement (IPCC, EAA-EMP).

L’outil est fonctionnel pour les systèmes « grandes cultures », « bovin lait », « bovin viande », « mixte » et est en cours de développement pour les systèmes « monogastriques » et « ovins ». Il fait une photo des performances sur une année d’une exploitation wallonne.

Comme mentionné plus tôt, cet outil est fort demandeur en données. C’est pourquoi, les chercheuses essayent de valoriser les données des comptabilités agricoles (pour l’instant la DAEA et Elevéo).

Une nouvelle version de DECiDE est opérationnelle depuis juillet 2021. Elle propose toujours les trois bilans : GES, énergie et NH3 mais avec un nouvel affichage plus convivial, plus d’indicateurs (basés sur les demandes des partenaires), possibilité d’imprimer le bilan comme support à la discussion, regroupement par exploitations et ateliers de même type et répartition des coûts selon 3 niveaux (celui de l’exploitation, de l’atelier ou du produit (lait/viande)).

  • Les atouts de DECiDE :
  1. Outil gratuit jusqu’ici et le plus longtemps possible
  2. Aussi disponible pour les exploitations mixtes
  3. Outil spécifique aux exploitations wallonnes
  4. Typologie et comparaison à des exploitations/ateliers wallon(ne)s
  5. Possibilité d’importer les données de comptabilités wallonnes, ce qui facilite l’encodage
  6. Maîtrise du code en interne, ce qui assure une certaine flexibilité

L’outil sera bientôt disponible pour les porcs et les volailles. Il va également être amélioré en adaptant les émissions de méthane des bovins et les variations de stocks de carbone dans les sols en fonction des pratiques culturales. De plus, de nouveaux indicateurs vont être intégrés pour prendre en compte les aspects économiques et sociaux. Il est prévu que la FWA collabore avec DECiDE pour faciliter l’encodage. Enfin, l’outil doit encore être reconnu par les autorités régionales.

  • Leviers de réduction des impacts

Il existe des pistes reconnues et éprouvées par la recherche mais attention aux solutions trop génériques ! Toutes les fermes sont différentes et les solutions vont déprendre du contexte de la ferme et des réalités du terrain. Il est important de discuter de ces solutions avec des conseillers, des chercheurs ou entre agriculteurs pour s’assurer de leurs pertinences. L’outil DECiDE sert de base dans ces échanges mais ne donne pas de plan d’action tout fait. Enfin, si vous voulez vous former à l’outil DECiDE, vous pouvez contacter les responsables du projet, des formations sont disponibles.

3) Climate Farming – exemple de projet de rémunération carbone par Sylvie Decaigny

  • Petit récapitulatif 

En agriculture on produit du sucre, de l’amidon, de la lignine à partir du CO2 de l’air et l’énergie solaire. Lors de la consommation de ces produits, du CO2 est réémis dans l’atmosphère. Par contre, l’extraction des énergies fossiles enfouies depuis des millions d’années rajoute du CO2 dans l’atmosphère. Il faut donc limiter les émissions liées aux énergies fossiles si l’on veut pouvoir observer un impact rapide sur le climat.

climate farming

  • Résumé des leviers techniques pour limiter les émissions de carbone
  1. Augmenter la biomasse produite, la matière organique du sol en captant plus de CO2 dans l’air, notamment via les intercultures
  2. Limiter la consommation de diesel et d’azote minéral qui demande beaucoup d’énergie fossile pour être son extraction
  3. Utilisation des légumineuses dans la rotation et les intercultures
  4. Couverture du sol maximal, ce qui a également le potentiel de limiter l’érosion et améliorer la qualité de l’eau
  5. Retour des résidus et des matières organiques exogènes
  6. Intercultures multi-espèces et longues, plus coûteux que les CIPAN monospécifiques mais qui présentent d’autres avantages
  7. Biodiversité
  • RT – BENEO : Climate farming project

La raffinerie tirlemontoise encadre un groupe de travail sur la diminution des émissions de carbon et sa séquestration ainsi que sur l’amélioration de la biodiversité. Ce groupe est composé de 20 fermes pilotes et 15 agronomes qui travaillent ensemble sur ces sujets et échangent sur différentes pratiques. Ils testent également des méthodes pour calculer la quantité de CO2 enlevée de l’atmosphère grâce à la transition de ces fermes. De plus, ils essaient de faciliter la récolte des données nécessaires à cette quantification.

Il ressort de cet exposé que les données des agriculteurs ont de la valeur, les industries sont prêtes à payer pour y avoir accès. Mme Decaigny insiste également sur le fait que les agriculteurs et les agricultrices possèdent un « superpouvoir », celui de pouvoir utiliser le CO2 de l’air et l’énergie solaire, ressources gratuites et abondantes, pour produire de l’alimentation. S’intéresser au carbone est ainsi une opportunité agronomique, économique et représente une partie de la solution dans la transition agricole. Enfin, il est important d’accepter que les consommateurs et l’agriculture évoluent très vite, participer au changement et communiquer avec les différents acteurs. C’est-à-dire informer les consommateurs mais également élaborer une stratégie commune entre les agriculteurs, les négociants et les transformateurs.

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