Le 14 septembre dernier, l’UAW de la province du Hainaut s’est réunie pour sa Journée d’étude provinciale. Une septantaine d’agricultrices se sont donc réunies à Horrues pour cette conférence-débat avec comme thème central l’élevage.

Après la présentation du territoire de la section locale par la présidente Marie-Ghislaine Blondiau ainsi que l’introduction du thème de la journée par Bernadette Vromman, présidente provinciale ;

Quatre conférenciers se sont succédés pour apporter un éclairage sur cette question et une mise en perspective de l’élevage wallon : Valentine Huys (FWA) pour le volet économique, David Knoden (Fourrages Mieux) pour mettre en avant la multifonctionnalité de l’élevage lié à l’herbe, Bernard Heinesch (ULg Gembloux Agro-Bio Tech) pour la présentation d’un cas d’étude de bilan de gaz à effet de serre d’une prairie pâturée, et Vincent Rabeux pour la présentation du concept Euroclim (alimentation du bétail) développé par la société Dumoulin (Arvesta).

Évolution du paysage bovin wallon

Par Valentine Huys, conseillère économie FWA

Sur base des données fournies par le site du SPW détaillant l’évolution de l’agriculture en Wallonie, on peut constater que le cheptel bovin total a diminué de près de 30% depuis 1990, avec 1 096 000 bovins recensés en Wallonie en 2019.

Bien que la tendance moyenne soit globalement à la baisse, on observe toutefois sur ces trente dernières années des évolutions différentes au niveau de la production viandeuse et laitière. La Wallonie ayant évolué d’un paysage majoritairement dominé par des vaches laitières dans les années 80’ vers une part plus importante de vaches allaitantes dans le courant des années 90’. Aujourd’hui, le nombre de détendeurs de bovins est plus important en Wallonie au niveau de la production viandeuse en comparaison avec le nombre de détenteurs de bovins en production laitière. Cependant, les exploitations laitières disposent d’un nombre moyen de vaches laitières plus élevé par rapport au nombre de vaches viandeuses.

Le nombre de vaches allaitantes évolue de manière chaotique sur ces trente dernières années, avec certaines périodes d’augmentation suivies de décapitalisation. En effet, les crises sanitaires et les politiques menées ont eu un impact non négligeable sur l’évolution du paysage wallon. On observe ainsi une importante augmentation du nombre de vaches allaitantes au début des années 90, combinée à une baisse du nombre de vaches laitières, suite notamment à la réforme de la PAC mise en place en 1992. La crise de la « vache folle » viendra ensuite inverser cette croissance, à nouveau entachée quelques années plus tard par la crise de la dioxine impactant tous les marchés. La PAC de 2013 aura également un impact négatif sur le nombre de bovins allaitants. Ces dernières années, le cheptel est en diminution progressive, tendance influencée par différents facteurs, comme la baisse de la consommation de viande, ainsi que les évolutions des coûts de production et prix de vente.

Les exploitations spécialisées en bovins viandeux sont principalement situées en Wallonie et plus particulièrement dans les régions agricoles de l’Ardenne et la Limoneuse. Avec 29% du cheptel wallon de bovins allaitants détenus, la région ardennaise domine le paysage au niveau de la production de la viande bovine.

La baisse du nombre d’agriculteurs couplée aux différents éléments structurant le marché de la viande bovine a impliqué une diminution de près de 40% du nombre de détenteurs de vaches allaitantes ces trente dernières années.

La Wallonie exporte en partie ses bovins et sa viande, ses principaux partenaires commerciaux étant la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Confronté aux évolutions sociétales en termes de consommation de viande, mais également aux différentes politiques menées, comme la conclusion de certains accords internationaux, le contexte actuel est compliqué pour l’élevage. Le Brexit engendre également beaucoup d’incertitudes sur l’avenir du secteur. En effet, le Royaume-Uni est un partenaire commercial important pour la Wallonie et, malgré l’absence de nouveaux droits de douane, plus de formalités sont à remplir pour le commerce de bétail et de viande. Cela se répercute sur des délais de transport plus importants mais également des coûts plus élevés. Il risque d’y avoir des répercussions sur les prix proposés aux consommateurs britanniques pour les produits en provenance de l’UE et donc de la Wallonie.

L’élevage lié à l’herbe : une production d’aliments de qualité mais pas que…

Par David Knoden, coordinateur Fourrages Mieux ASBL

L’élevage est régulièrement critiqué pour ses impacts sur l’environnement (émissions de gaz à effets de serre, consommation en eau…). En effet, on entend souvent que pour produire 1 kg de viande, il faut 15000 litres d’eau. Or, une grande partie de cette eau tombe du ciel, littéralement, et on arrive plutôt à 50 litres d’eau réellement consommés pour produire 1 kg de viande. De plus, lorsqu’on élève des animaux au pâturage, sur des prairies permanentes, la perte de biodiversité est faible et comparable à celui d’une forêt secondaire.

Les médias sont généralement mal informés et très généralistes. Les systèmes d’élevage sont variés et complexes. Tout n’est pas comparable en termes d’impacts. Et en tant qu’agriculteurs, on a du mal à accepter les chiffres qu’on nous montre car ils ne correspondent pas toujours à ce qui se passe chez nous.

Parmi la diversité des systèmes, la production d’animaux à l’herbe présente les meilleures performances écologiques pour une productivité équivalente aux autres systèmes d’élevage et des résultats économiques qui tiennent la route.

L’élevage à l’herbe offre de multiples services écosystémiques, contribuant à la durabilité de ces systèmes. Les animaux transforment l’herbe en produits de très bonne qualité, même si ceux-ci ne sont pas mieux rémunérés pour autant... Les prairies sont également des supports pour d’autres productions comme le miel via le butinage des fleurs présentes. De plus, elles jouent un rôle tampon dans le maintien la qualité de l’eau, notamment en fixant les polluants dans les particules du sol. Ajoutons à cela que les animaux en prairies restituent de la matière organique au sol via leurs excréments, ce qui contribue à la stabilité du sol. Par ailleurs, la consommation de plantes par les animaux en pâture aboutit à un découplage des cycles de l’azote et du carbone (séparation entre urine et fèces), favorisant les pertes de ces éléments dans l’environnement. Mais, les prairies permanentes permettent un (re)couplage de ces cycles du carbone et de l’azote via l’absorption de l’azote et le stockage du carbone par la vie du sol et par les plantes, ce qui permet de contrebalancer le découplage précité. Le pâturage va donc lui-même limiter les pertes d’azote dans le sol et dans l’atmosphère en restituant directement ces éléments en prairie. De plus, l’élevage fournit des emplois de manière directe et indirecte. Enfin, la prairie participe au maintien du paysage et présente une dimension culturelle.

Au niveau mondial, la moitié des surfaces utilisées pour nourrir les animaux d’élevage sont des zones sur lesquelles on ne pourrait rien produire d’autre que du fourrage. On peut donc en tenir compte lorsqu’on calcule l’efficience alimentaire des animaux d’élevage, c’est-à-dire la quantité d’aliments qui leur est nécessaire pour produire 1 kg de produits animaux (viande, lait, œuf). On peut soit prendre la quantité totale de matière sèche ingérée, soit se concentrer sur la part de leur alimentation qui pourrait être consommée par l’humain. Si on se base sur cette dernière approche, on peut observer que dans les systèmes de bovins au pâturage de nos régions, pour obtenir 1 kg de protéines animales, 200 g de protéines consommables par l’humain ont été nécessaires. On a donc une production nette de protéines pour ces systèmes.

En Europe, l’élevage est concentré dans certaines régions et quasiment absent dans d’autres… Comment réintroduire de l’élevage dans les zones de grandes cultures pour retrouver un équilibre ? La PAC devrait s’attaquer à cette question, mais elle ne joue pas son rôle à ce niveau…

En effet, les prairies et les herbivores qui la valorisent contribuent à la durabilité des systèmes alimentaires. Du point de vue environnemental, cela améliore la biodiversité de ces systèmes (richesse spécifique, diversité des habitats, corridors écologiques, zones humides), la fertilité des sols (teneur en matière organique du sol, stockage de carbone, limitation de l’érosion, vie biologique du sol), la régulation des flux d’eau, et la limitation des pollutions (pesticides, recouplage des cycles de l’azote et du carbone). Du point de vue de la sécurité alimentaire, les systèmes herbagers valorisent des zones non cultivables, améliorent l’autonomie protéique des élevages (réductions des importations de soja), diminuent la compétition avec l’alimentation humaine et produisent des aliments de qualité et diversifiés (meilleure teneur en oméga 3, en vitamine et produits à forte valeur culturelle).

Pourtant, les surfaces en prairies permanentes diminuent dans l’Union Européenne tandis que la production de lait augmente et celle de viande reste stable. Il y a donc eu une intensification de la production depuis les années ’60 et les rations ont été concentrées pour pouvoir produire plus sur un territoire fini. Pour cela, les élevages sont devenus de plus en plus dépendants des concentrés et du soja importé. Les rations basées sur le maïs sont devenues plus faciles à gérer que celles basées sur les prairies, qui demandent plus de travail, de savoir-faire et sont tributaires des aléas climatiques. L’agrandissement des troupeaux a également rendu le pâturage plus compliqué à mettre en place.

Il est à noter qu’en région wallonne, les prairies recouvrent 50 % de la SAU. Dans le Hainaut, les prairies représentent un tiers de la SAU. La province rassemble également un quart du cheptel wallon. La charge en bétail/ha de prairie est donc supérieure à la moyenne wallonne (3,1 bovins/ha de prairies) mais inférieure à celle de la Flandre (5,7 bovins/ha de prairies).

Depuis quelques années, les marchés du lait et de la viande fluctuent. Il est donc important de maîtriser ses coûts de production – l’alimentation étant un des principaux postes de frais – et d’adapter la complémentation selon les animaux et le marché. Nous sommes également dans un contexte de changement climatique avec l’alternance de périodes de sécheresses et de pluie intense de plus en plus fréquentes. Il faut donc envisager une gestion « active » des prairies et des cultures fourragères. En effet, la prairie est une culture à part entière. Il faut donc s’y consacrer si l’on veut obtenir de bons fourrages et arriver à des systèmes les plus résilients et autonomes possibles.

En conclusion, la prairie est une piste à explorer pour l’avenir de l’élevage en Wallonie. Elle est à la fois une source de protéines ancestrale et prometteuse pour l’avenir. Un hectare de prairie permanent équivaut à 2300 kg de tourteaux de soja (en base DVE). De plus, l’apport azoté annuel d’un hectare de prairie représente plus du double de celui d’un hectare de soja.

La gestion d’une prairie demande de faire des compromis entre productivité et intérêt environnemental. Toutefois, en comparant des centaines de prairies, des chercheurs ont montré que la fertilisation azotée avait peu d’impact sur leurs rendements. Il ne faut donc pas fertiliser excessivement au risque de pénaliser le rendement de la prairie.

Le choix des espèces et des mélanges fourragers est important également. Pour les graminées, monsieur Knoden recommande par exemple le dactyle, les fétuques ou les bromes. Des légumineuses, comme les trèfles ou la luzerne, peuvent également être ajoutées aux espèces à favoriser dans les mélanges. Ces dernières permettent de diminuer les intrants azotés et améliorer la qualité du fourrage.

Dans les pays où les rations sont basées sur l’herbe, les coûts de production sont bien moins élevés. Il y a donc un avantage économique à pâturer, si le parcellaire le permet. Différentes techniques de pâturage existent (tournant, dynamique) et des outils comme le calendrier de pâturage ou la mesure de la pousse de l’herbe permettent de les mettre en œuvre plus facilement. Des logiciels informatiques existent également pour aider les éleveurs et éleveuses dans leurs choix.

Il y a, de plus, une demande des consommateurs pour des produits bovins basés sur les prairies : lait de pâturage, viande à l’herbe...

L’élevage produit aussi des engrais pour les prairies mais également pour les grandes cultures et le maraîchage ou de l’énergie pour les biométhaniseurs.

Il y a donc plein de points positifs à maintenir l’élevage (à l’herbe) !

Bilan des gaz à effet de serre d’une prairie pâturée

Par Bernard Heinesch, Unité de recherche Terra, Axe BioDynE, GxABT, ULIEGE

Monsieur Heinesch nous a présenté les résultats d’une étude menée par l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech, visant à étudier les flux des gaz à effet de serre à partir d’une prairie permanente pâturée par des bovins allaitant.

Le changement climatique et l’augmentation significative de la température à l’échelle du globe ne sont plus à démonter… Cette tendance est claire à l’échelle des 100 dernières années.

Les activités mises en cause dans les émissions de gaz à effet de serre sont les activités humaines (le transport, l’industrie, l’agriculture…).

Trois gaz sont particulièrement responsables : le dioxyde de carbone (CO2), le protoxyde d’azote (N2O) et le méthane (CH4), leur concentration dans l’atmosphère a augmenté de manière exponentielle au cours du 20ème siècle.

En agriculture, les flux de CO2 sont dus à la photosynthèse et à la respiration des animaux ; le N2O est émis essentiellement lors de la fertilisation mais aussi lors de la digestion des animaux et le CH4 est lié à la fermentation entérique et aux effluents d’élevage.

Pour cette étude des flux gazeux, centrée sur une pâture, un observatoire a été installé chez un agriculteur de Dorinne : une station de mesure y a donc été aménagée, celle-ci mesurant les échanges en permanence. Il s’agit d’une prairie permanente de 4ha, qui est en pâture « tout le temps », la hauteur d’herbe doit rester plus ou moins constante et donc il est nécessaire d’adapter la charge du bétail.

La gestion du bétail appliquée est la suivante : charge en bétail moyenne = 2.3 UGB/ha (élevée), Blanc Bleu Belge allaitant, le rendement moyen en matière sèche étant proche des 8 t/ha, avec fertilisation organique et minérale.

Pour répondre à la question « La parcelle est-elle une source d’émission ou un puit de carbone ? », les trois gaz ont été étudiés

  • Pour le CO2, un bilan carbone a été effectué en mesurant les échanges gazeux (photosynthèse, respiration du bétail, de la prairie, prise en compte des compléments alimentaires dans la ration, de la fertilisation organique, et des pertes éventuelles (lessivage dans le sol, production de viande, fauche).

Le bilan carbone moyen sur 5 ans est le suivant : -100 ± 50 g C /m²/ an ou 1 t C ha/an, il va donc dans le sens de la séquestration, « la photosynthèse l’emporte ».

  • La prairie étudiée est un puit de carbone de 100g/m²/an, l’écosystème absorbe plus de carbone qu’il n’en émet
  • 1 tonne de carbone est séquestrée par la prairie chaque année mais le puit de carbone ne sera pas infini en fonction de l’âge de la prairie (qui par ailleurs, n’a jamais été cultivée depuis plus de 100 ans), à un moment donné le puit sature et ça plafonne mais la séquestration restera majoritaire. En conditions constantes (climat et management), la séquestration atteint un équilibre après environ 100 ans. Des conditions constantes sont rarement rencontrées pendant des périodes aussi longues (changement climatique, fertilisation…)

Si on s’intéresse maintenant au méthane et au protoxyde d’azote, il est à noter qu’ils ont un pouvoir réchauffant 25x plus important que le CO2 !

  • Pour les émissions de CH4, l’étude a mesuré que l’émission d’un animal est de 160 g CH4 par jour
  • En ce qui concerne les émissions de N2O, en combinant selon une équation liée à différents facteurs d’émission, l’azote des dépôts atmosphériques, résiduel, de la fertilisation et des excréta, l’étude obtient 3,9 (0,7-6) kg N2O-N/ha/an

En combinant ces données relevées pour les trois gaz dans un bilan complet (CO2 – CH4 – N2O), l’équipe de chercheurs pour cette étude obtient le résultat suivant : environ 70% des émissions de CH4 et de N2O en pâture sont compensées par la séquestration de Carbone. La prairie étudiée permet donc de compenser les émissions dans ce bilan de gaz à effet de serre.

La limite du système est qu’on n’étudie que la prairie. Les échanges gazeux au niveau de l’étable, des cultures servant à alimenter le bétail ou des véhicules agricoles n’ont pas été étudiés.

En ce qui concerne l’impact de la gestion du bétail, le pâturage tournant a été comparé au pâturage continu, et il n’a pas été observé de différence importante entre les deux traitements à charge en bétail égale.

Le concept Euroclim

Par Vincent Rabeux, chef produit bovin viande, Dumoulin

Dans ce contexte d’augmentation des gaz à effets de serre dans l’atmosphère, la filière bovine pâtit d’une mauvaise image dans l’opinion publique…

La ration ingérée et sa digestion représente environ 80% du bilan gr éq CO2 / L de lait ou Kg de viande, l’alimentation du bétail est donc le levier principal d’améliorations.

« Qu’est-ce qu’on peut faire en tant que producteur d’aliments ? »

« La culture et la production des aliments représente une grosse partie des fermentations, qu’est-ce qu’on peut changer ? »

En tant que spécialiste en nutrition animale, Dumoulin a donc développé une stratégie alimentaire globale avec une gamme d’aliments visant à réduire l’empreinte environnementale des bovins laitiers et viandeux : Euroclim.

L’objectif d’Euroclim est de proposer une stratégie alimentaire permettant de contribuer à la diminution du bilan environnemental (gr éq. CO2) litre de lait et par kg de viande produits, sans baisse de performance et sans surcoût pour l’éleveur

Le concept Euroclim vise donc à améliorer la durabilité et l’image du lait et de la viande bovine au travers de l’alimentation du bétail.

« Grâce à ses matières premières innovantes et 100% d’origine européenne, Euroclim a un double impact positif sur l’environnement : diminution des émissions de méthane (grâce à des acides gras polyinsaturés provenant des graines de lin extrudées) et diminution du bilan carbone (les matières premières d’Euroclim sont d’origine européenne, presque toutes des cultures locales, nécessitant un transport minimal. Elles sont 100% sans OGM) ».

 

Cette journée riche en interventions a donc permis d’ouvrir le débat avec différents éclairages, grâce auxquels les participants ont pu développer un esprit critique et appréhender les enjeux entourant l’avenir de l’élevage aux niveaux régional, national, européen et mondial.

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