Rencontre avec Kati Partenen

Notre rubrique « Agricultrices du Monde » est une façon de rendre hommage à toutes ces femmes, dans le monde, qui vivent de l’agriculture familiale. Grâce à la collaboration étroite avec le Collectif Stratégies Alimentaires (CSA), nous pourrons vous faire voyager à travers leur récit. Cette rubrique nous permettra de vous faire connaitre leur vie, leur travail, leur famille… Alors, prêts à découvrir de nouvelles façons de vivre et de travailler la terre ?

Cette fois-ci, nous embarquons pour la Finlande.

Entretien effectué par Kawtar Tatekht (CSA)

Pour cette interview, nous avons été à la rencontre de Kati Partanen, une agricultrice à la vie bien remplie qui porte de nombreuses casquettes. Elle est entre autres membre de l'Union centrale des producteurs agricoles et des propriétaires forestiers (MTK), qui est représentée par l’agri-agence finlandaise pour le développement alimentaire et forestier (FFD) au sein d’Agricord, réseau international dans lequel le Collectif Stratégies Alimentaires représente la Fédération Wallonne de l’Agriculture.  Au cours de cet échange, Kati revient sur ses différentes expériences, ses rôles et sa vie quotidienne.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m'appelle Kati Partanen. J'ai 46 ans et je vis à Iisalmi, dans le centre-est de la Finlande. Je suis agricultrice, propriétaire d’une parcelle forestière et maître de conférences en économie agricole à l'Université des sciences appliquées de Savonia. À côté de cela, je suis également membre du conseil d'administration de l'Union centrale des producteurs agricoles et des propriétaires forestiers (MTK, Finlande) et j'ai été membre d'autres conseils d'administration. Enfin, je suis également facilitatrice du comité des femmes de l'Organisation mondiale des agriculteurs (WFO). J’aime aussi être active sur mon temps libre, comme passer du temps en forêt et en pleine nature avec mes deux chiens. Je pratique aussi la chasse et la pêche. J'aime la musique, le chant est d’ailleurs l'un de mes passe-temps. Et pour me détendre, j’aime lire des romans.

L’agriculture a toujours fait partie de votre vie ?

Professionnellement, j'ai de nombreux rôles dans le domaine de l'agriculture comme vous l’avez sans doute déjà compris. Au-delà de ça, mes parents exploitaient une ferme laitière. D’ailleurs, de nombreuses personnes leur posaient des questions du type : « Comment gérez-vous la ferme, alors que vous n'avez que des filles et pas de fils ? ». Car ils ont eu quatre filles et je suis l’une d’entre elles. Mes parents répondaient toujours : « Qu'est-ce qui ne va pas avec nos filles ? Elles peuvent tout faire ! ». Cela a renforcé mes sœurs et moi dans notre mentalité, nous avons grandi avec l’idée que nous sommes vraiment capables d’entreprendre tout ce que nous voulons.

Aujourd’hui, avec mon mari, nous gérons la ferme ensemble. Ses parents nous aident beaucoup dans notre exploitation, c'est vraiment une exploitation familiale. Nous avons aussi deux fils, de 17 ans et de 15 ans.

Depuis toujours, la famille a une grande importance pour nous.

Quel type d’agriculture y a-t-il en Finlande ?

Nous sommes au cœur du Dairy-Finland. Notre région est l'une des principales régions de production laitière et bovine du pays. Notre région est très herbagère et donc la production bovine est assez répandue ici. Dans ma région, nous avons également une production de baies, en particulier de fraises. La majorité de la production végétale dans notre région est constituée de céréales et d'herbes. De nos jours, la production végétale est devenue plus diversifiée.

En Finlande, la période de végétation est plutôt courte, mais intensive. Nous avons beaucoup de lumière du jour en été, ce qui nécessite des plantes adaptées à nos conditions. Sinon, la production la plus importante en Finlande d'un point de vue économique est la production laitière. La majorité des exploitations sont cependant des exploitations de production végétale.

Et vous, que faites-vous au sein de votre exploitation familiale ?

Nous avons une ferme arable, où nous produisons des céréales : blé, seigle, avoine et orge. Nous produisons à la fois pour la consommation humaine et pour l'alimentation animale. Nous vendons nos céréales pour faire du pain à un petit moulin traditionnel local, qui vend la farine aux marchés locaux. L’alimentation animale que nous produisons est quant à elle principalement vendue aux fermes avec lesquelles nous avons des contrats. En plus de cela, nous produisons des pois et des graines de colza. Nous avons également des graminées dans notre rotation de cultures, car c'est bon pour l'état du sol, autant pour vendre de l'alimentation en herbe que pour les engrais verts.

Avez-vous vos propres rôles au sein de votre exploitation et de votre famille ?

En général, la responsabilité principale des tâches ménagères, comme la cuisine, me revient. Mais ce n’est pas cloisonné et nous pouvons partager toutes les tâches avec mon mari. Mon mari et mes fils s'occupent également des tâches ménagères et je travaille aussi dans les champs. Concernant notre exploitation, mon mari est le principal responsable de la planification des travaux agricoles, mais nous discutons beaucoup et prenons les décisions ensemble. Je travaille aussi dans les champs avec le tracteur, chaque fois que cela est nécessaire.

Pouvez-vous nous décrire une journée-type ?

Ma journée type dépend de la période de l'année. En hiver, je travaille à l'Université des sciences appliquées de Savonia en tant que maître de conférences. Là-bas, je travaille sur des projets de développement et j'enseigne. Ma journée de travail s'étend généralement de 8h00 à 16h00. Je voyage aussi souvent pour des réunions, principalement à Helsinki. À la maison, je fais la cuisine et m'occupe de la maison et de nos chiens, et je participe aux travaux agricoles si nécessaire. Les week-ends sont souvent remplis de travail bénévole, d'associations, de travaux ménagers et agricoles et aussi de visites à mes parents et à mes sœurs. J'essaie d'avoir du temps pour me reposer et me détendre, mais c'est parfois difficile, car il y a toujours beaucoup à faire à la maison ou à la ferme.

Qu’est-ce que ces différentes fonctions vous apportent au quotidien en termes de joies et de défis ?

Dans ma ferme, j'aime quand le printemps arrive et que la période de végétation commence. C'est toujours un moment d'espoir. Nous travaillons dans les champs et nous attendons avec impatience de voir la végétation. En même temps, nous ressentons le risque et l'insécurité : nous faisons de notre mieux, mais il y a toujours beaucoup de risques que le rendement ne soit pas assez bon. Les risques météorologiques sont aussi importants. Les risques du marché existent également, même si nous essayons de les gérer en vendant notre rendement principalement à des partenaires locaux. Il faut aussi dire que l'augmentation des coûts est une énorme source de stress…

J'aime quand j'ai l'occasion d'aller dans la forêt, que ce soit pour une simple promenade ou pour voir quels travaux sont nécessaires et évaluer ce qui devrait être fait. Dans ma propre forêt, je peux sentir le travail effectué par les générations et que par conséquent, mes décisions auront aussi un effet sur les générations suivantes.

Dans mon travail à l'Université des sciences appliquées, j'apprécie de pouvoir contribuer au développement de l'agriculture et de l'économie rurale dans notre région, mais aussi au niveau national et international. Je peux travailler avec d'excellents professionnels et me former et apprendre davantage. Nous faisons beaucoup de coopération internationale, par exemple dans le cadre du projet Erasmus +.

Enfin, dans mes fonctions de membre de divers conseils d'administration, j'aime pouvoir développer l'économie agricole et forestière. Mon devoir est de travailler pour l'avenir de l'agriculture familiale. Parfois, je me sens frustrée que les décideurs ne comprennent pas toujours le rôle et les besoins des exploitations familiales.

Êtes-vous impliqué dans une organisation d'agriculteurs ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis membre du conseil d'administration de l'Union des agriculteurs finlandais MTK (Union centrale des producteurs agricoles et des propriétaires forestiers), à la fois au niveau national, mais aussi au sein de son association locale.

Quels avantages tirez-vous de cette organisation ?

J'ai la possibilité d'influer sur les politiques et les décisions. Nous avons de bons avantages pour les membres, mais le plus important est le travail de lobbying de MTK. Les contacts sociaux avec les autres agriculteurs sont également importants.

Pourquoi est-il important pour vous de rencontrer d'autres femmes ?

Nous pouvons partager nos expériences, apprendre les unes des autres et nous soutenir mutuellement.  Je pense qu'il est important de connaître d'autres agricultrices, non seulement de sa propre région, mais aussi de tout le pays et même de l'étranger. Nous sommes des sœurs, qui partageons beaucoup de choses !

Je travaille avec d'autres femmes dans toutes les fonctions que j’occupe. J'aimerais être un modèle, en particulier pour les jeunes femmes, en leur montrant qu'elles peuvent faire tout ce qu'elles veulent : ne laissez pas le genre vous freiner ! Je suis membre du comité des femmes de l'Organisation mondiale des agriculteurs depuis 2013 et je l'anime depuis 2015. Nous avons travaillé pour atteindre l'égalité de genre dans le domaine de l'agriculture. Notre objectif est de convaincre tous les acteurs du secteur agricole que l'égalité de genre est essentielle si nous voulons atteindre une véritable sécurité alimentaire.

Quels sont les avantages pour vous ou pour votre exploitation de faire partie de cette organisation ?

Nous développons de nouvelles idées, de nouveaux points de vue, voire des partenariats.

Quelle vision avez-vous de l'agriculture du futur ?

L’agriculture durable sera de plus en plus au cœur des préoccupations. Il faut continuer à développer la durabilité dans ses trois dimensions : économique, environnementale et sociale. Même si le développement technologique apporte de nouveaux moyens pour produire des aliments, par exemple via des laboratoires, l'énergie solaire naturelle et des sols sains resteront une base importante pour l'alimentation de demain. La technologie se développe rapidement et exige de nouvelles compétences de la part des agriculteurs. L'éducation, la formation et le conseil seront encore plus nécessaires à l'avenir. Les processus biologiques demeureront : l'agriculture est un travail de collaboration avec la nature. Nous devons communiquer avec la société et les consommateurs pour mieux faire comprendre l'agriculture.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l'agriculture est confrontée aujourd'hui ?

Actuellement, la situation économique pour l’agriculture est très mauvaise, pas seulement en Finlande ou en Belgique, mais dans le monde entier. Les coûts ont augmenté rapidement depuis l'automne dernier. L'augmentation des prix de l'énergie et des engrais a déjà créé beaucoup de problèmes au niveau des exploitations agricoles, mais l'année prochaine pourrait être encore pire, si les prix à la production n'augmentent pas. Le changement climatique entraîne aussi de nombreux défis dans de nombreuses régions. Nous sommes confrontés par exemple à de graves sécheresses et inondations. L'un des grands défis est de faire comprendre les réalités de l’agriculture à de nombreux décideurs car ils ont tendance à mal comprendre et à faire de fausses suppositions. Le lobbying et le partage d'informations sont nécessaires pour faire connaître aux décideurs les principes de base de l'agriculture. La technologie se développe rapidement et il serait important d'avoir la possibilité d'y investir. Cependant, ce n'est souvent pas possible économiquement... Dans le développement des technologies, il serait important de s'assurer que les points de vue des agriculteurs sont pris en compte, par exemple en ce qui concerne la propriété et le partage des données.

Un dernier mot pour les agricultrices belges ?

Mes sœurs, ne laissez pas les hypothèses et les stéréotypes vous limiter ! Soyez fières d'être agricultrices, partagez vos connaissances avec vos sœurs et développez vos propres connaissances. Nous nourrissons le monde !

***


Comme souligné par Kati Partanen, l’égalité de genre est nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire en Europe et dans le Monde.

En effet, les femmes sont plus touchées par la malnutrition que les hommes alors qu’elles jouent un rôle fondamental dans la production de nourriture et la gestion de l’alimentation au sein des foyers (1)(2). La distribution sexuée des activités économiques et sociales fait que, par rapport aux hommes, les femmes ont moins facilement accès aux moyens de productions et aux ressources, elles sont moins prioritaires dans la répartition de la nourriture et ont moins de temps à consacrer aux activités productives car elles passent plus de temps à s’occuper des tâches reproductives (domestiques et de soin) (3).

Par ailleurs, les femmes sont sous-représentées dans les lieux de pouvoir et cantonnées à certains métiers, souvent moins bien rémunérés, alors qu’elles représentent plus de la moitié des diplômé.e.s de l’enseignement supérieur (4). On gaspille donc les compétences des femmes. C’est pourquoi, le Copa et la Cogeca affirme que « les femmes rurales doivent être encouragées à développer leur plein potentiel. Cela leur permettra de mettre à profit leurs atouts personnels pour soutenir pleinement le développement des zones rurales ainsi que de la société dans son ensemble » (5).

Par les coordinatrices de l’UAW

Sources :

  1. Grimaccia, E., Naccarato, A. Food Insecurity in Europe: A Gender Perspective. Soc Indic Res 161, 649–667 (2022). https://doi.org/10.1007/s11205-020-02387-8

  2. Visser, J.; Wangu, J. Women’s dual centrality in food security solutions: The need for a stronger gender lens in food systems’ transformation. Curr. Res. Environ. Sustain. 2021, 3, 100094. https://doi.org/10.1016/j.crsust.2021.100094

  3. Le Monde selon les femmes, 2014, Agroécologie, plaidoyer pour une perspective de genre. Lutte contre la malnutrition et pour une souveraineté alimentaire, Le Monde selon les femmes, Bruxelles. https://www.mondefemmes.org/produit/agroecologie-un-plaidoyer-pour-le-genre/

  4. Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, 2014. L’Indice d’égalité de genre - Principaux résultats. https://eige.europa.eu/sites/default/files/documents/MH0213275FRC.pdf

  5. Copa*Cogeca, 2020. Réflexion du Copa-Cogeca sur la communication de la Commission européenne concernant la Stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. https://www.copa-cogeca.eu/Archive/Download?id=3836393

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