Quand le raisin côtoie le grain

Propos recueillis par Myriam Lambillon, coordinatrice UAW

C’est dans le petit village de Bovesse (province de Namur) que nous avons fait connaissance avec Audrey, épouse de Jean-François, maman de Nell, employée dans une entreprise pharmaceutique et, avec son mari, qui gère le Ry d’argent, ferme familiale et domaine viticole

Nous sommes ici dans une ferme ou un vignoble ?

Il s’agit d’une ferme, mon mari est avant tout agriculteur mais il s’est diversifié en plantant en 2005 un premier hectare de vigne puis en 2006 il y a eu l’implantation du chai (bâtiment). Ensuite d’autres vignes ont été plantées en 2006 et en 2007 puis en 2014 et en 2015

Nous nous retrouvons avec 13Ha de vignes en propre dans 4 régions différentes plus des hectares à faire en prestations ce qui correspond à un quart de notre exploitation et tout le reste de nos terres sont exclusivement des cultures (betteraves, froment, escourgeon, pommes de terre, lin).

D’ailleurs mon mari est le premier agriculteur-vigneron en Wallonie. Il est également le plus jeune vigneron en Wallonie.

Pourquoi le vin?

En 2003, Jean–François a fait son travail de fin d’études chez le voisin qui est viticulteur (domaine du Chenoy), travail intitulé « Implantation d’un vignoble en Wallonie ». La ferme étant trop petite, il y avait un troupeau laitier, un peu de viandeuses et quelques cultures, il fallait moderniser le tout, se mettre aux normes… et il a réfléchi à la meilleure façon d’apporter une valeur ajoutée à cette ferme qui lui tient à cœur. C’est pourquoi il s’est tourné vers le raisin.

Et vous, comment êtes-vous arrivée dans cette grande aventure ?

Comme les parents de mon mari étaient encore actifs à la ferme (laitière à l’époque), il a travaillé comme employé dans une entreprise pharmaceutique, c’est là que nous nous sommes rencontrés. J’y suis laborantine. Pour le moment, je suis toujours employée mais avec un mi-temps congé parental.

Cela vous permet de vous investir dans le Ry d’Argent ?

Au début de notre mariage, j’ai beaucoup travaillé dans la vigne mais depuis la naissance de Nell, nous avons engagé deux temps-plein et je m’investis d’une autre façon.

Je suis devenue multi tâches (rires), je m’occupe de l’administratif (comptes, factures, suivi des commandes…), je gère les mails ce qui est une très grande part du travail et je suis aussi responsable RH. Je m’occupe de la publicité grâce à un site et une page Facebook. Pour ce domaine de la publicité, nous collaborons avec une journaliste qui fait les mises en forme mais c’est toujours nous qui gérons le fond. De toute façon, pour que cela fonctionne, il faut que toutes les décisions soient prises à deux.

Et puis, vous avez pris goût à cette diversification ?

J’ai en effet, suivi des cours de sommelier au Cefor à Namur (cours du soir pendant 4 ans).

De plus, grâce aux stages effectués lors de cette formation, j’ai pu apprendre les différentes facettes des métiers qui entourent le vin : mon premier stage s’est fait au Ry d’argent, ici à la maison. L’année suivante, j’ai travaillé dans un restaurant gastronomique de la région (l’Atelier de Bossimé) et appris l’art du service à table et la communication vers le client, la troisième année, j’ai travaillé en grande surface au rayon vin chez Mesdagh à Gerpinnes. C’est également tout un art car il faut tenir à l’œil beaucoup de volets différents, la mise en valeur des bouteilles, l’étiquetage, les commandes et le conseil au client, il fallait connaitre plus de 300 références de vin différentes. Tous ces stages m’ont beaucoup appris; il faut être délicate, discrète, savoir communiquer, connaitre toutes les références et la mise en avant du produit est très importante.

Ma formation et tous mes acquis m’ont permis de pouvoir m’impliquer au niveau de l’assemblage de notre production. Je fais la dégustation, les accords mets/vin, mais aussi le packaging. Même si c’est un graphiste qui dessine, c’est moi qui décide du texte, du design, du marketing et qui gère la communication.

Mon mari et moi, nous nous occupons ensemble de l’aspect commercial, des livraisons, des foires, des visites du domaine…

Les foires, est-ce la meilleure façon de se faire connaitre ?

Disons qu’en Belgique, au départ, les gens sont attirés par les vins étrangers. Mais on y va pour se faire connaitre, pour parler avec le consommateur et maintenant, on remarque que c’est le consommateur qui vient vers nous.

Les foires sont également très utiles pour rencontrer nos collègues, pour partager avec les autres vignerons, c’est très important. En effet, en Belgique, nous n’avons aucune possibilité d’acheter du matériel, il faut aller en France, en Allemagne, et donc c’est dans ces foires que nous les rencontrons, que nous pouvons partager nos expériences...

Vous avez parlé de l’importance des formations, du réseautage, et la collaboration ?

C’est le point fort du Ry d’argent. Nous collaborons de différentes manières et chacune d’entre elles est riche en échanges, en rapports humains.

Par exemple, les agriculteurs qui souhaitent se diversifier dans le vignoble, viennent se renseigner ici car Jean-François est un des seuls agriculteurs avec une spécificité vinicole et qui surtout propose de la prestation de service.

Lors de la crise des pommes/poires, certains d’entre eux ont plantés des vignes en lieu et place des pommes et poires, et nous leur achetons leurs raisins. Or le raisin qui est valorisable en vin est vendu plus cher que le raisin de bouche ou de jus. Tout le monde s’y retrouve.

Nous offrons aussi des prestations de service. Comme nous avons du bon matériel assez innovant, on peut faire la mise en bouteille pour les vignerons qui ne sont pas outillés, la champagnisation,  on peut vendanger chez certains, mais aussi pulvériser chez d’autres.

Ces prestations ne s’arrêtent pas là, nous avons aussi proposé un effervescent de pommes, ce qui a permis aux fruiticulteurs lors de la dernière crise, de pouvoir avoir un prix correct de leur production. Cette boisson a été tellement appréciée que certains d’entre eux nous ont demandé de créer un effervescent propre à leur production. Ce qui sera fait.

Nous collaborons également avec une brasserie située à Beersel, il s’agit d’une fermentation spontanée grâce à une levure indigène qui est dans leur cours d’eau. Nous avons obtenu à base de vieille gueuze et de vieille kriek : la Bzart, une bière de luxe. Notre rôle dans ces 2 bières est leur champagnisation…ce qui a nécessité pas mal de R&D.

Et nous avons créé récemment pour un jeune restaurateur de la région (L’atelier de Bossimé) la cuvée « l’atelier » qui est une méthode traditionnelle que l’on servira exclusivement dans son restaurant.

Tous ces partenariats sont souvent le fruit du hasard, être au bon moment au bon endroit.

Mais la production première chez nous reste tout de même la Bulle (80%), le blanc, le rosé et le rouge.

Vous avez le Ry d’argent mais aussi BGP ?

Oui, il s’agit d’une seconde société avec les initiales de mon mari, et de deux amis champenois.

La finalité est de mettre en avant le vin 100% belge sur le marché européen. Donc on achète du raisin belge et on le vinifie. Toute la production a trouvé acquéreur.

Nous y trouvons certains avantages grâce à cette collaboration (et oui, encore une) : le contact avec les maisons champenoises, les échanges entre pairs et cela nous a permis d’acheter du matériel performant, de grandir sur 2 front en même temps mais également d’être de bon logisticien dans la gestion global.

Quelle est la principale difficulté rencontrée ?

L’une des principales difficultés est de mettre un prix sur la bouteille. Comment estimer le coût ? On n’a pas les mêmes cépages d’une région à l’autre, le produit fini n’est pas le même, c’est compliqué de comparer. Les accises sont importantes pour les bulles par rapport au vin tranquille (vin rose, rouge ou blanc). Celles-ci sont en plus différentes d’un pays à l’autre : en Belgique, c’est 21% de TVA, en France c’est 19% au Luxembourg, il n’y en a pas ! La main d’œuvre a aussi un coût qu’il faut prendre en compte. Les accises en Belgique sont 10 fois plus importantes que dans d’autres régions du monde.

De plus, il ne faut pas s’éparpiller. Il y a la ferme avec les contraintes de la météo en ce qui concerne les plantations et les récoltes et puis le vignoble. Et ensuite, il y a tout le reste, gérer la plantation de vignes est une chose  mais il y aura le suivi avec les vendanges, la vinification, l’embouteillage, l’entreposage… cela ne sert à rien de viser trop grand, il faut rester à une échelle humaine.

Nous partons aussi du principe que plus on est, mieux c’est… et on fera connaitre le vin belge. C’est pour cela que nous donnons beaucoup de conseils aux agriculteurs qui souhaitent se lancer dans cette voie.

Comment voyez-vous le marché mondial ?

Nous avons la grande chance en Wallonie d’avoir l’AWEX (Agence Wallonne pour l’EXportation).

Jean-François a pu partir deux fois en mission économique au Mexique (pour le vin rouge) et en Colombie (pour les bulles). Les contacts ont été pris mais pour le moment cela ne bouge pas beaucoup. Il y a du potentiel mais il y a les freins de la langue et de la distance. L’idéal serait d’avoir quelqu’un sur place qui deviendrait notre bras droit.

L’administratif est également très lourd pour certains pays. Par exemple la Chine est un pays qui protège fortement son marché, l’importation est très contrôlée, les taxes montent à 40%. De plus, chaque pays a ses règlements et ses codes. Quant au marché européen, il est saturé au niveau du vin, il y a moins de demandes et beaucoup de choix. A l’export, il faut donc faire du bon, du volume,  et avoir un bon rapport qualité prix. Ce que nous venons d’obtenir avec Test achat, nous avons eu la mention ‘maître achat’ sur un vin blanc 2014 en vente chez Delhaize.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Nous sommes positifs, parce que le vin belge a le vent en poupe, surtout la bulle. Pour le moment, le consommer local est en avant. De plus en plus d’agriculteurs demandent des prestations de service pour la plantation et le suivi complet.

Que retenez-vous de cette grande aventure ?

Il y a trois choses importantes qui peuvent vous faire avancer, c’est la collaboration, ne pas rester dans son coin, cela nous permet d’avancer, d’échanger, de progresser. C’est également la formation, toujours être curieux, avoir l’esprit ouvert, on apprend tous les jours… Il faut faire des choix car il faut gérer son temps et préserver la vie familiale pour son équilibre personnel

 

Devenir membre UAW

Promotion et défense des intérêts des agricultrices et des femmes vivant en milieu rural
Animation et formation continue
S’informer, se rencontrer et échanger
Accès aux services juridique et technique FWA